Print Friendly, PDF & Email

L’île d’Haïti est, encore une fois, bien secouée par un soulèvement, depuis maintenant plusieurs semaines.Tout le mois de septembre, on a vu des images de manifestations, de pillages, d’émeutes, de barricades, d’attaques d’entreprises et de bâtiments publics, dans la quasi totalité des villes du pays.

Cette situation fait suite à l’annonce gouvernementale d’une augmentation de plus de 90 % du prix de l’essence le 11 septembre dernier, dans un contexte où l’inflation frôle déjà les 30 %, où une personne sur 3 ne mange pas à sa faim.
Ce mouvement s’inscrit dans une continuité de lutte contre le gouvernement et contre la vie chère, qui a débuté depuis maintenant 4 ans. Un des enjeux principaux était la démission du premier ministre Haïtien, Ariel Henry, qui se présente non seulement comme un pantin des Etats-Unis, mais aussi comme quelqu’un de particulièrement corrompu, comme la totalité de la classe bourgeoise dirigeante. En effet, c’est en 2018 qu’apparaissent au grand jour les rouages du projet PetroCaribe, programme international de coopération énergétique, dont les fonds étaient destinés à servir à la mise en place de mesures sociales. Le président de l’époque, Jovenel Moïse, également PDG d’Agritrans (firme d’exportation de bananes) avait tranquillement détourné les quelques millions d’aides internationales dont la firme avait bénéficié, et qui auraient dû servir à la reconstruction d’infrastructures routières et d’hôpitaux. Jovenel Moïse est assassiné en juillet 2021, et laisse jusqu’alors la place vacante. C’est depuis lors le premier ministre Ariel Henry qui gouverne, projeté au sommet par la « communauté internationale ».
La puissance des dernières manifestations déborde très vite les forces répressives de l’État. La lutte semble s’organiser principalement autour d’organisations spontanées, affinitaires, dans les quartiers périphériques des villes ; ainsi qu’à travers des organisations paysannes (comme le MPP, Mouvement Paysan de Papaye, qui tente de se débattre avec le joug des multinationales agroalimentaires et des organisations caritatives, dont la gestion des ressources a mis encore davantage en péril la production locale alimentaire). Des grèves dans les milieux du transport et du pétrole s’ajoutent rapidement à la prise de la rue.
à la mi octobre, Ariel Henry fait directement appel à l’ONU pour une intervention militaire dans le pays, afin de « rétablir l’ordre », face à la situation insurrectionnelle.
Cette demande sera d’ailleurs approuvée par une ONG franco-canado-étatsunienne, le Core Group, présente dans le pays depuis plus de 10 ans, qui est un programme d’appui et de support politique au régime en place (et dont le départ fut le mot d’ordre de nombre de manifestations).
L’argument principal de faire appel aux forces armées de l’ONU étant la terreur imposée par les gangs mafieux, qui prendraient de plus en plus le contrôle du pays… sauf que ces gangs, s’ils sont bien réels, agissent sous l’aile du gouvernement depuis toujours.
Le maintien de l’ordre étatique est en effet, depuis plus de 40 ans et depuis la chute du régime dictatorial de la famille Duvalier, dominé par des milices paramilitaires, dont la toute dernière formation a été accouchée par un décret datant de janvier 2021, lui conférant encore davantage de pouvoir qu’au duo police/juctice haïtiennes. Chaque camp politique a ses accointances avec tel ou tel gang, les fournit en armes soit pour favoriser un vote, soit pour aller réprimer les manifestations dans les quartiers à coup de machettes et de mitraillettes (les armes répressives de la police et des milices sont d’ailleurs largement financées par les États-Unis).

Par ailleurs, on ne fera pas la liste ici des catastrophes naturelles dont a été victime Haïti, ni des conséquences engendrées sur la pauvreté de la classe laborieuse. Mais une chose est sûre, ces dernières ont permis aux états du Nord de s’immiscer encore davantage dans la gestion du pays. Sous prétexte d’intervention humanitaire, nombreuses ont été les interventions de l’ONU suite à des séismes ou des tornades, via les casques bleus. Leur venue en 2010 est fracassante. Elle déclenchera une épidémie de choléra, importée depuis le Népal soit par des casques bleus porteurs sains, soit par… le déversement des latrines dans les rivières, engeandrant une large contamination des eaux de l’île. épidémie qui fera, tout de même, 10 000 morts.
Entre les interventions de l’ONU et celles du Core Group, on mesure les intérêts que peuvent avoir les grandes puissances dans l’île. Et le tout premier gagnant fut l’État français qui, suite à la révolte des esclaves en 1791 et à l’indépendance en 1804, réclamera réparation financière pour la perte de sa colonie pendant des dizaines d’années, occasionnant une dette colossale. Puis au travers de la prise de contrôle de la banque nationale par les états-Unis notamment. Et, qui feront profit des richesses des terres haïtiennes : cuivre, or, pétrole, gaz naturel, uranium, iridium…

Les organisations internationales présenteront également à maintes reprises l’île comme un ramassis de révoltés qui s’enfoncent dans la pauvreté depuis leur indépendance, murmurant doucement à l’oreille des voisins de la région, “Si vous vous rebellez, voyez ce que vous allez devenir !”… Ce qui vient bien suffisamment légitimer l’intervention de l’ONU et des ONG internationales. Ce qui vient aussi bien suffisamment disqualifier toute forme de lutte dans la rue. « Regardez comme ils viennent piller les réserves alimentaires de l’ONU lorsqu’ils se révoltent ! C’est le chaos, les gangs ont pris le pouvoir ! »
Entre les ONG, l’ONU, le financement des groupes paramilitaires, ce qu’on voit ici est un splendide laboratoire permanent de politiques anti-insurrectionnelle. Bien décidé et organisé pour enrailler la rage sociale, mais qui n’y parvient décidément pas…