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Le « quoi qu’il en coûte » visant à conjurer les effets de l’épidémie du Covid sur l’économie française, ne semble pas s’appliquer pour tous les pays. Surtout lorsque ce ne sont pas des pays du centre de gravité du capitalisme international, ce qui joue sur le rapport à l’endettement.

Ainsi, la « République socialiste démocratique du Sri-Lanka », une terre insulaire de 22 millions d’habitants au sud de l’Inde, connaît la plus grande crise économique de son histoire.
L’État, en faillite, est incapable de rembourser la dette extérieure (51 milliards de dollars) et de soutenir l’approvisionnement du pays que ce soit au niveau alimentaire ou énergétique.

Comment en est-on arrivé là ?


Déjà, évoquons la gestion par les dynasties politiques, comme la famille Rajapaksa, qui dirigent le pays depuis des décennies. Cette clique bourgeoise a présidé à l’écrasement sanglant (au moins 40 000 morts et horreurs diverses dans l’offensive terminale de 2009) de la guérilla des Tigres tamouls…
La fin de la guerre civile (1983-2009) était considérée comme l’obstacle à franchir avant de pouvoir investir dans des infrastructures touristiques, autoroutes et aéroports, financées via l’endettement de l’État, auprès de la Chine et d’investisseurs états-uniens. Après sa défaite aux élections de 2015, le clan revient au pouvoir en 2019, dans une surenchère nationaliste et militariste.
La crise covid voit s’effondrer le tourisme, coup dur pour de larges franges de prolétaires qui en sont dépendantes. De son côté, le gouvernement, déploie l’armée pour organiser le confinement du pays.
Et quand, en avril 2021, il décrète l’interdiction des engrais chimiques, il claironne qu’il s’agit d’une affaire de santé publique (on parle en effet d’une profusion de maladies rénales graves, induite par le cocktail cadmium issu des engrais et glyphosate, qui pollue l’eau potable).
Mais il s’agit surtout de couper les 400 millions de subventions servant à financer l’importation des engrais. Et les paysans furent les premiers à payer cette transition brutale, qui a provoqué la famine. Les rendements agricoles insuffisants font augmenter les prix de produits de base qui se font rares. Le thé, produit historique d’exportation, voit aussi ses rendements chuter, entraînant avec lui les milliers d’ouvrières qui le récoltent.
Le gouvernement ré-autorise les engrais chimiques dès novembre 2021. Mais pour les paysans pauvres, cela ne change rien, surtout que depuis, les prix montent encore. Désormais ils sont 20 fois plus cher, avec la guerre en Ukraine (la Russie en est le 2e producteur mondial). L’inflation crève le plafond et les pénuries (alimentaires, énergétiques, de médicaments, etc.) sont massives.

« Gota Go Home » ou les limites d’une insurrection interrompue


Les derniers mois ont vu la montée en puissance d’un mouvement « dégagiste » : qui demandait la démission du président, de son gouvernement et la fin de la mainmise du clan Rajapaksa sur le pays.
Le mouvement éclate à travers plusieurs jours de manifestations et de grèves générales dans différents secteurs de l’économie (thé, caoutchouc, riz, textiles, éducation, fonction publique, etc.) d’occupations de places, d’attaques de bâtiments officiels ou de domiciles de politiques. Différentes organisations politiques, syndicales et associatives prennent la rue « contre la mauvaise gestion et la corruption »… Mais la limite est là quand on parle de gestion : la porte est ouverte à un autre fusible.
Les attaques contre les dirigeants se multiplient (les images des vidéos des dizaines de voitures brulées appartenant à la famille Rajapaksa ont fait le tour du monde).
Le gouvernement impose un couvre-feu, mobilise les militaires dans les rues, aidés par les militants du parti au pouvoir. Cette répression fait plusieurs morts (5 morts selon le bilan officiel, évidemment sous estimé et plus de 150 blessés) à noter le suicide d’un député de la majorité, encerclé par des manifestants sur lesquels il venait de tirer.
Si la rue à travers grèves, émeutes et attaques a fait en sorte que plusieurs ministres jettent l’éponge, d’autres franges des classes dominantes et des organisations religieuses tentent de prendre la direction du mouvement. De son côté, le clan au pouvoir tente une nouvelle manœuvre et nomme premier ministre, Ranil Wickremesinghe, un allié de longue date qui a occupé ce poste 5 fois depuis 1993.
À charge pour lui de négocier, dos au mur avec le FMI, pour obtenir une petite rallonge de quelques milliards de dollars, augmentant encore le poids de la dette, sous le regard attentif des puissances qui ont des intérêts géostratégiques dans la région (Inde, Chine et États-Unis se faisant une guerre d’influence larvée…).
Le mouvement sri-lankais se retrouve donc dans un étau. Coincé entre l’effondrement économique, sanitaire et social, et un État qui sera dans l’incapacité de répondre à cette situation (et va a l’inverse l’aggraver encore). D’autant qu’il se retrouve dans une dépendance encore plus grande vis-à-vis des créanciers internationaux.
À suivre…