Les internationalistes du 3ème camp pendant la 2ème guerre mondiale et aujourd’hui

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  • Nous partageons ici ce texte qui est une mise en contexte faite par le camarade internationaliste qui interviendra le vendredi 4 novembre lors de la discussion « Face à la guerre, que veux dire être internationaliste aujourd’hui ? », car elle est une bonne introduction historique et une bonne mise en contexte des positions qui seront discutées. D’autres textes seront diffusés sur place sur la table de presse, et surement mis en ligne ici dans les prochaines semaines.

Nous reprenons à notre compte le terme « internationalistes du 3ème camp », choisi par Pierre Lanneret dans une étude parue en anglais en 1985, pour désigner les groupes révolutionnaires internationalistes qui pendant la 2ème guerre impérialiste ont refusé d’adhérer à un camp impérialiste ou à un autre, y compris l’URSS : c’est le refus clair et net de la défense de la « patrie » qu’elle soit affublée des termes socialiste, démocratique ou fasciste.

Pendant la 2ème guerre, il y eut d’autres terminologies pour exprimer la même attitude : le MLL Front en Hollande a mis en avant le mot d’ordre de « troisième front » (« Derde Front ») tandis que le Parti Communiste Internationaliste d’Italie parle de « Front Unique Prolétarien » (« Fronte Unico Proletario ») en 1943.

Ces militants surent défendre pied à pied les traditions internationalistes encore vivaces quelques années auparavant, défendre la simple idée que les prolétaires n’ont pas de patrie, que la lutte du prolétariat ne connaît pas de frontière et que ses intérêts sont les mêmes dans tous les pays. En un temps où l’hystérie nationaliste prenait le dessus et dont une des expressions horribles fut le mot d’ordre stalinien « à chacun son boche » 1, ces militants trouvèrent encore la force de se battre contre, de faire œuvre de propagande et d’organiser concrètement dans les pires difficultés des actes de fraternisation en direction de soldats allemands.

Aujourd’hui

dans une période de déboussolement, il s’agit de défendre un camp contrele «  fou  » du Krelin, il est important de rappeler ces faits oubliés et que s’évertuent une fois de plus de masquer la vérité,    de recouvrir d’un voile de silence les adorateurs de la Résistance nationaliste ou patriotique et autres lutteurs de l’antifascisme démocratique dont le rôle central fut de recrédibiliser et renforcer l’Etat.

Une fois de plus comme avant où il fallait contraindre des prolétaires à abandonner toutes velléités de lutte autonome qui se concrétisait ici et là, plus ou moins fortement – en Grèce, Italie, Hollande, France… – il faut les entrainer dans la guerre. Au final il faudra – comme sous la «  reconstruction  » après 1945 -    se retrousser les manches, subir une exploitation accrue pour reconstruire l’économie en Ukraine, en Russie et ailleurs.

*****

Des groupes internationalistes ont eu une attitude internationaliste de part le monde  :    en Hollande, Italie, Grèce, Mexique, USA. Les uns ont eu une activité limitée à des publications, d’autres ont allié la publication de journaux et revues à    une activité de propagande, de participations à des grèves, des manifestations, des pillages, etc….

En tant que collectif Fragments d’histoire de la gauche radicale (archivesautonomies.org) on a déjà mis en ligne depuis 6 ans toute une série de textes de ces groupes.    Nous vous appelons à vous y référer et de les lire.

Au cours de la discussion nous aimerions revenir sur cette terminologie de 3ème camp car elle peut avoir un sens général qui va au-delà du sens particulier donné pour ces groupes internationalistes. Ce sont des positions toujours actuelles. Nous aussi, nous sommes confrontés à devoir « choisir » entre la défense d’un Etat contre un autre Etat, la défense de la démocratie contre la barbarie, quelle soit fasciste ou islamiste. Il y a d’autres fausses polarisations, comme les sempiternels appels gauchistes à soutenir des mouvements de libération nationale, qu’ils soient palestiniens, kurdes, basques… ou des minorités sans vision politique claire.

Il est donc important de continuer à maintenir un tel positionnement, la vivifier par l’analyse, les débats et autres discussions autant sur les événements passés que présents  : c’est un choix…

– qui demande du courage car nous savons que nous allons nous heurter

  • à l’incompréhension, au mieux,
  • à la haine et à la répression au pire (et peut être plus), de se voir assimiler à l’un ou l’autre front.

– pas facile car il demande de sortir d’un schéma mental dans ce monde marqué par le binaire, plus que jamais, soit tu es avec moi, soit contre moi : un binaire bien ancré dans la conscience des gens et qui le reproduisent dès la plus insignifiante conversation.

– pas facile car ce qui manque pour nous soutenir c’est l’existence de ce 3ème camp ou front, une force qui s’oppose réellement et matériellement au capitalisme, sur un terrain où l’on ne peut tergiverser, celui que nous appellons terrain de classe avec affrontements en tout genre (grèves radicales, pillages, attaques de la propriété privée, solidarité entre les internationaliste    et mise en commun des expériences de lutte).

Last but not least  : le moyen d’avoir un étendard entre nous pour mieux nous faire voir. Nous sommes invisbles aujourd’hui.

* * * * *

Contre la guerre Impérialiste dans le monde – 1939-45.

1 – Origine commune des groupes 2du 3ème camp

Pour la présentation qui suit, nous précisons que nous nous contentons d’esquisser ce que furent ces groupes, nous mettons en avant quelques éléments-clé tout en sachant que nous ne pouvons pas aller plus loin, cela impliquerait tout un travail de traduction de textes qui n’existent qu’en français et en allemand. Cela peut laisser sur leur faim des camarades qui ont déjà lu leur presse, aimeraient débattre de questions de fond (sur le léninisme, le parti, etc.). Cet exposé est une incitation à découvrir et lire toute une documentation, l’approfondir, en discuter.

Le point commun de ces groupes est qu’ils sont issus d’une matrice identique : L’Internationale Communiste et ses différentes sections, crées à partir de l’année 1920, etc.

Tous ces groupes ont pour référence la révolution russe et les bolcheviks, la révolution allemande et les spartakistes… avec des événements aussi fondamentaux que la guerre civile en Russie (le communisme de guerre), la création de l’Internationale Communiste en 1919, la répression des mouvements prolétariens en Russie (dont Cronstadt est le plus connu), la mise en place de la NEP (Nouvelle Politique Economique) en Russie.

Puis au cours des années 20 des militants ont rompu avec les différents PC, ont constitué des groupes oppositionnels voire trotskistes ou les ont rejoints par la suite. Puis au sein de ces groupes il y eut des ruptures dans différents pays notamment avec Trotski et sa IV° Internationale (créée en 1938) et la création de nouveaux regroupements.

Les points communs de ces différents groupes sont au nombre de 3:

  1. caractérisation de l’URSS comme étant un régime de capitalisme d’Etat, après l’avoir considéré pendant des années comme Etat ouvrier dégénéré. Ce qui implique qu’il ne peut y avoir de défense de cet Etat, et encore moins considérer l’Armée Rouge comme étant une armée de libération, pouvant apporter une aide à une possible révolution en Allemagne et d’autres pays (comme dans les Balkans et en Grèce). L’histoire nous l’a montré (pour les incrédules).
  2. Critique du nationalisme, aucune participation à la Résistance patriotique qui place la lutte contre l’envahisseur allemand sous le signe de la défense de la patrie, empêchant toute fraternisation, signifiant la négation des classes et la collaboration avec des fractions bourgeoises, dans le but de maintenir l’autorité de l’Etat.
  3. Critique de l’antifascisme, qui s’est développé à partir de juillet 36, où l’objectif de destruction de l’Etat a été remplacé par la lutte contre le fascisme, dans une guerre de front et dans le cadre de gouvernement de Front Populaire.    Antifascisme qui s’est développé également dans d’autres pays, comme en France depuis 1934 (journée de février 1934, Front Populaire unissant le PC, le PS et les radicaux de gauche) où en Espagne. Cet antifascisme signifie la défense de la démocratie perçu comme un moindre mal. En vérité, la défense de la démocratie n’est rien d’autre que la défense de l’Etat et l’écrasement du prolétariat, de sa lutte autonome pour ses objectifs propres de destruction de l’Etat.

2-    les différents groupes internationalistes.

Nous devons toujours avoir à l’esprit que ces groupes se sont retrouvés dans une situation extrêmement difficile. D’abord due aux conditions engendrées par un état de guerre : occupation militaire, arrestations massives au moindre prétexte, tortures, exécutions de grévistes, d’otages et de juifs (parce que juif). Pour la plupart de ces groupes – et nous verrons que leur situation n’est pas identique selon les pays – s’ajoutent à ces difficultés le fait que la plupart des militants sont des exilés, des réfractaires au STO, des juifs, des évadés de prison ou de camps (souvent une combinaison de tout ça), donc devoir se procurer des faux papiers, des tickets de rationnement, du fric.

A cela il y a encore une autre difficulté : celle de s’adapter à une existence illégale plus ou moins difficile à assumer selon l’engagement politique des uns et des autres.

Ensuite ils sont confrontés à un isolement politique vis-à-vis de proches continuant à défendre l’URSS (même dégénérée), qui s’engagent dans la Résistance chapeautée par les réseaux staliniens (et gaullistes pour la France)    et dont le poids se fera de plus en plus lourd après l’invasion de l’armée allemande en URSS (le 22 juin 1941). Et bien sûr ces groupes vont avoir affaire à l’ennemi puissant, sans scrupule aucun, qu’est le stalinisme qui était le plus à même de connaître les militants de ces groupes internationalistes (de par d’anciens camarades puisque certains s’étaient côtoyés dans une vie précédente), de les traquer, de les calomnier, de les assassiner. Et en plus pour certains pourchassés par le KGD et la Gestapo.

A/ FRANCE.

On distingue plusieurs groupes, issus de 2 branches différentes, mais qui s’entrecroisent toutefois.    En gros des groupes qui viennent du trotskysme, d’autres qui sont issus du bordiguisme 3. Il y a aussi des militants qui viennent de l’anarchisme, des jeunesses socialistes.

1) Les RKD. Revolutionäre Kommunisten Deutschlands. Il s’agit d’un groupe composé de militants d’origine autrichienne, dont l’âge moyen en 1939 est de 20-24 ans, comme Georg Scheuer, Karl Fischer,      Gustav Gronich, Ignaz Duhl, Arthur Streicher, Edith Kramer, Hermann Bortfeld, Mélanie Berger, Franz Lederer, Lotte Israel… Ce groupe rompt avec le mouvement trotskyste lors de la fondation de la IV° Internationale en 1938, ils sont en désaccord avec Trotski sur le soutien à apporter à l’URSS en cas d’agression, mais ils considèrent encore cet Etat comme Etat ouvrier dégénéré, ce n’est qu’en 1941 (tout comme d’autres groupes à cette époque) qu’ils le qualifieront de capitalisme d’Etat. Avant même la déclaration de la guerre, ils défendent la position de défaitisme révolutionnaire, s’inspirant en cela de la stratégie préconisée par Lénine dès septembre 1914.

Après mai 1940 (au moment de l’invasion du territoire français par l’armée allemande), le RKD s’installe dans différentes villes dans le Sud de la France (Montauban, Lyon, Grenoble, Tarbes) et s’active pour faire connaître ses positions internationalistes et aller à la rencontre de soldats allemands.

Ce qui signifie publication :

– de tracts dès 1941 (que nous n’avons pas retrouvés), puis 42 jusqu’en 45 (une dizaine retrouvée),

– de simples feuilles recto-verso en allemand : Spartakus (1943); en français : Fraternisation Prolétarienne (1943),

– de bulletins de réflexions et d’analyses : le RK Bulletin en allemand – 17 numéros de 1941 à 1943 – le RK Bulletin en français de 1944 à 1946, le Rassemblement Communiste Révolutionnaire – 4 numéros de janvier à août 1944.

– d’une plate-forme programmatique rédigée en allemand en 1941, traduite en français en 1944 4.

Voici quelques extraits de textes parus dans Fraternisation prolétarienne n° 1, 1er mai 1943 :

« Fascistes, gaullistes et staliniens vous exhortent à la haine et au massacre de vos frères de classe. Ils sont tous pour la continuation de la guerre actuelle qui ne profite qu’aux capitalistes. C’est surtout contre les ouvriers allemands et italiens, contraints sous peine de mort, de faire leur service militaire, que les bourgeois gaullistes et leurs agents staliniens excitent vos sentiments. Et pourtant, il n’y a qu’à regarder les traits fatigués de ces soldats victimes de la dictature hitlérienne, pour voir qu’ils en ont tous « marre » de la guerre, comme nous autres, ouvriers français, ils n’ont qu’un intérêt  : que cela finisse  ! »

Voici encore un extrait d’un tract, publié en 4 langues, de juillet 1944 :

« Ouvriers et soldats !

Une des batailles les plus grandes et les plus sanglantes de la 2ème guerre impérialiste mondiale a commencé en France

Cette guerre va uniquement pour les exploiteurs et oppresseurs à Washington, Berlin, Moscou, Tokyo et Londres. Vous seuls pouvez et devez transformer cette guerre capitaliste en guerre civile, en REVOLUTION PROLÉTARIENNE MONDIALE. Fraternisez avec les ouvriers-soldats de l’autre côté et dans les pays occupés contre les officiers de toutes les armées impérialistes. »

Le texte « L’appel des Communistes Révolutionnaires d’Allemagne au prolétariat allemand » du 1er mai 1945 est remarquable quant à la clarté de son analyse et des perspectives tracées :

« N’oubliez pas que c’est le capitalisme qui a mis Hitler au pouvoir. C’est le capitalisme qui a provoqué la nouvelle guerre mondiale (…) Malgré leurs divergences impérialistes, les exploiteurs de tous les pays sont unis contre le « danger » de la révolution prolétarienne qui, pour eux, est un danger mortel (…) Les capitalistes alliés et russes volent au secours de la bourgeoisie allemande contre le prolétariat allemand. Les capitalistes russes avec Staline à leur tête, étranglent tout mouvement révolutionnaire. Ils ont précédemment liquidé chez eux les conquêtes prolétariennes et révolutionnaires d’octobre 1917. Les communistes en Russie ont été emprisonnés et fusillés. Le prolétariat a été réduit en esclavage, comme chez nous.

Ainsi il est logique que les massacreurs de la révolution russe déportent actuellement vos pères et vos fils, vos maris et vos frères, pour les obliger aux travaux forcés. Ils interdisent à leurs propres soldats de parler avec vous, ils vous calomnient en prétendant que vous êtes des « nazis » parce qu’ils craignent et veulent empêcher à tout prix la fraternisation entre ouvriers allemands et russes (…) ».

La répression ne se fait pas attendre et il va y avoir une série d’arrestations en février 42, opérées par la police française. Elle arrête 3 femmes qui faisaient pour 2 d’entre elles de la propagande envers les soldats allemands. Il s’agit de Mélanie Berger (d’origine autrichienne) qui s’est pris 15 ans; de Jeanne Katzenstein, d’origine allemande et travaillant en France parmi les quakers (qui a 17 ans) qui s’est pris 3 ans et enfin de Madeleine Goëtzmann (qui était alsacienne) qui s’est pris 14 mois. Mélanie Berger sera transférée aux Baumettes, à Marseille et un commando des RKD réussira à la faire évader en août 1943.

D’autres membres seront arrêtés par la Gestapo (Ignaz Duhl – en 1944, torturé puis assassiné à Marseille et Arthur Streicher – en 1943, mort en déportation).    Reconnu par un ancien camarade soldat alors qu’il avait l’habitude de faire de la propagande contre la guerre auprès des soldats.

Karl Fischer sera arrêté en 44… déporté à Buchenwald, en reviendra, puis se fera enlever par le Guépéou en Autriche en 1947 et condamné à 15 ans de camp en Sibérie et en reviendra en 1955.

2) L’OCR. L’Organisation Communiste Révolutionnaire. La création de cette organisation est le résultat de l’activité des RKD auprès de militants « français ».

En août 1944, trois organisations trotskystes, le POI, le CCI et le groupe Octobre fusionnent et forme le PCInternationaliste. Les nouvelles recrues françaises du RKD constituent à l’intérieur de ce parti une fraction dans le but d’attirer à eux des militants (et non de vouloir changer la nature de ce parti). En octobre la tendance CR du PCI fait une déclaration et quitte ce parti pour fonder l’OCR (fort de 40 membres environ), publie sans ou avec le RKD un ensemble de publications :

Avec les RKD : Rassemblement Communiste Révolutionnaire, l’Internationale et Pouvoir Ouvrier

Sans eux : Marxisme (un numéro daté d’octobre 1944); Communisme (mars 1945, premier numéro); Bulletin de discussion (juillet 1945) où l’on trouve des textes du RKD revenant sur son évolution, son parcours.

* * * * *

2) Le GRP puis l’UCI

Le GRP est fondé en 1942 par Pavel Thalmann et sa compagne Clara et regroupe des militants qui viennent de l’anarchisme (comme Roger Bossière), des JSR (Lanneret), des militants hongrois (Jean et Anna Justus) qui étaient membres de l’Union Communiste. Il y a aussi Maximilien Rubel. P. Lanneret fut membre des Jeunesses Socialistes Révolutionnaires en 1938, à l’âge de 17 ans. Il part en Allemagne dans le cadre du STO, et à la faveur d’une permission pendant l’été 1943 n’y retourne pas, se retrouve réfractaire, donc en situation d’illégalité avec tout ce que cela comporte comme problèmes pour survivre. Il prend à ce moment contact avec le GRP (par l’intermédiaire de Roger Bossière un libertaire qu’il avait connu en 1938 et membre à ce moment de ce groupe), puis rejoint en 1945 l’OCR – Contre le Courant, puis la FFGCI (Fraction française de la gauche communiste internationaliste – bordiguiste) et enfin SouB (Socialisme ou Barbarie).

En mars 1943, le groupe publie un manifeste dont les points principaux sont de qualifier la guerre en cours comme guerre de rapine et la Russie comme capitaliste d’Etat. Le GRP se considère comme un regroupement révolutionnaire :

« .. pour sauver de la catastrophe ce qui reste de l’héritage socialiste et le transmettre aux générations qui auront à édifier la nouvelle civilisation, il faut que les révolutionnaires qui ont reconnu le vrai caractère de la guerre actuelle s’unissent et accomplissent les nouvelles tâches théoriques et pratiques dictées par une situation chaotique et grosse de bouleversements ».

Le GRP publie le Réveil Prolétarien, préconise la fraternisation avec les soldats allemands, dénonce le caractère impérialiste de la guerre, etc.

Ils sont en contact avec des trotskystes, puis avec le RKD, un groupe d’anarchistes (ce qui ne donne rien avec les deux derniers).

En 1944, le GRP change de nom, pour devenir l’UCI « concession à des jeunes adhérents encore attachés à la tradition trotskystes ». L’UCI publie le journal « La Flamme ».

Ce groupe eut une activité remarquable avec un trotskyste dénommé Victor de son vrai nom Martin Monath 5. Malgré des désaccords importants sur la nature de l’Etat russe, une activité de propagande put se développer envers des soldats allemands encasernés    à Brest à l’aide d’un journal rédigé en allemand Arbeiter und soldat (premier numéro en juillet 1943). Cela était assumé par un groupe trotskyste de cette ville en liaison avec Victor, lui-même hébergé par le couple Thalmann à Paris. Le journal y était rédigé, tapé et tiré dans ce pavillon de sept pièces, qui était comme une sorte d’auberge espagnole, venant en aide, offrant asile à de nombreux militants. A un certain moment un groupe d’une quinzaine de soldats allemands adhèrent aux positions défendues par ce journal, le diffusèrent et en distribuèrent de la main à la main à des camarades de confiance. Ils rédigèrent leur propre feuille (Zeitung für Soldat und Arbeiter im Westen) dont nous est parvenu un seul exemplaire, le numéro 2 de l’été 1943. Voici un extrait :

« Nous, soldats qui nous trouvons en pays ennemi, nous ne sommes en définitive que des travailleurs, des prolétaires qui devons exécuter les ordres de la dictature nazie. La situation de nos camarades de l’arrière n’est pas, surtout en ce moment, meilleure. Nous et eux, nous devons nous éreinter nuit et jour, toujours pour rien.

En tirons-nous le moindre avantage ? Non !

Alors pourquoi tout cela ? Allons-nous continuer encore cette guerre inutile ? Non encore une fois. Je me suis toujours comporté jusqu’à présent comme un bon Allemand et ai obéi aux ordres de mes supérieurs, mais maintenant, c’en est fini. Pourquoi poursuivre cette guerre qui ne peut en aucune manière, aboutir à une fin ? »

Puis il y eut des arrestations à Brest et à Paris en octobre 1943, 20 militants sont arrêtés, 11 déportés (4 y laissent leur peau), une quinzaine de soldats fusillés (apparemment ou alors envoyés en Russie). Victor échappe à cette rafle, mais est arrêté en juillet 1944, puis exécuté en 2 fois, alors que le dernier numéro sort en juillet 1944.

3/ La Gauche communiste    italienne et la Gauche communiste de France. Cf  : L’enfer continue, histoire de la Gauche communiste de France, Ni patrie ni frontières.

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Point commun pour ce qui est de la destinée de tous ces groupes lors de la fin de la guerre.

Tous ont misé (sauf la Gauche Communiste de France qui était plus lucide) sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Qui, comme on le sait, n’a pas eu lieu. Pourtant à l’époque (donc à partir de 1943, lors des grèves en Italie, en Grèce, lors des mouvements de désertion au sein de l’armée allemande, insurrection du ghetto de Varsovie…) les révolutionnaires pensaient que la révolution allait venir.

Par contre la bourgeoisie mondiale (qui s’est réunie formellement à Yalta pour s’entendre sur le dépeçage de l’Europe et sur le maintien de la paix sociale dans leur zone d’influence respective), avait tiré les leçons de la guerre 14-18 en occupant militairement l’Allemagne à l’Ouest, après l’avoir bombardé massivement (au moins 600.000 civils morts). A l’Est, ce n’est pas par hasard que l’Armée Rouge s’est arrêtée au bord de la Vistule le 10 septembre 1944 alors que l’insurrection faisait rage à Varsovie (déclenchée depuis le 1 août). Elle n’a pas levé le petit doigt pour aider les insurgés, elle a attendu que l’armée allemande finisse son travail de bourreau, tout comme elle a pu le faire tranquillement en Italie en août 1943 en bombardant les quartiers ouvriers de Milan. L’Armée rouge que les trotskystes appelaient de tous leurs vœux, avait entre autres ignominies, ordre de violer toutes les femmes allemandes. Les différents PC n’ont pas été en reste pour réprimer toute velléité révolutionnaire, que ce soit en France, en Italie, en Hollande ou encore en Grèce. Comment ? : En développant le mouvement de résistance patriotique, en empêchant systématiquement toute fraternisation, en excitant la haine chauvine. Au sortir de la guerre, alors que des prolétaires, dont certains organisés dans le cadre des maquis, pensaient que l’heure de la révolution avait sonné 6. Les PC ont liquidé toute velléité de lutte autonome, à garder les armes (liquidation en France des milices patriotiques), à garder un contrôle sur la production (liquidation des comités d’usine) et en poussant les prolétaires les plus combatifs à poursuivre la guerre jusqu’en Allemagne. Tactique bien connue : vider les villes de ses éléments révolutionnaires, les éloigner des zones de concentration urbaine et des usines.

B) Présence de groupes internationalistes dans d’autres pays.

Italie. 7

Quelques militants se réclamant du Parti Communiste Italien de 1921 et de la Fraction italienne de la gauche communiste (active dans l’émigration dans les années 30) se regroupent fin 1942, s’organisent parce qu’ils pensent que la révolution jaillira de la guerre : il faut s’y préparer. D’où l’apparition d’une presse clandestine Prometeo dont le premier numéro paraît en novembre 1943, avec en grand titre : « A la guerre impérialiste le prolétariat oppose la ferme volonté d’atteindre ses objectifs historiques ». Pour ces militants, comme pour d’autres militants en France, en Grèce, l’année 43 est une année d’espoirs, car des grèves importantes, très dures (pour les salaires, contre la pénurie, pour une prime de bombardement) se déclenchent (mars-avril), ce qui va entraîner la chute de Mussolini    et la venue au pouvoir du gouvernement Badoglio le 25 juillet 1943.    Or malgré l’état d’urgence décrété, la poursuite de la guerre, les prolétaires continuent à manifester, à faire grève et forment à Turin un « conseil d’ouvriers et de soldats ». Il y a des tentatives de soulèvement à Milan, Turin et Rome. L’armée allemande va réprimer sévèrement et bombarder des quartiers ouvriers de Milan.

Voici un exemple de texte à propos de la grève des ouvriers milanais de janvier 1944 :

« Vous avez cessé le travail. Satisfaites ou non, vos revendications actuelles, vous vous mouvez fatalement à l’intérieur d’un cercle vicieux et vous serez, à bref délai, contraint de cesser à nouveau le travail.

Pourquoi  ?

Parce que les capitalistes et le gouvernement nazi-fasciste, responsables de la guerre, sont incapables non seulement de résoudre la terrible crise qui a pulvérisé l’économie nationale mais même tout simplement de vous nourrir vous et vos familles tout en vous contraignant à produire encore plus de canons pour la guerre.

OUVRIERS  !

Vous n’avez qu’un moyen pour sortir de la crise  : faire de votre force de classe une force révolutionnaire consciente. C’est seulement en vous unissant de façon compacte contre la guerre, contre le capitalisme et contre les exploiteurs de tous les camps qui se servent de vos bras et de votre vie pour une guerre de domination criminelle, c’est seulement en déplaçant votre action du terrain économique au terrain politique, que vous réussirez à briser les chaînes qui vous emprisonnent encore. »

Ces militants s’élèvent contre le partisanat :

« A l’arsenal de mots d’ordre lancés par le capitalisme au prolétariat dans les moments de crise pour le pousser à abandonner son terrain de la lutte des classes et à collaborer fraternellement avec lui, la guerre actuelle en a ajouté un autre  : celui des bandes armées pour la libération nationale.

Après avoir tenté de diriger la marée montante des masses dans le confortable lit de la démocratie bourgeoise, on les invite à la concorde nationale au nom de la lutte contre l’envahisseur, on cherche à offrir au peuple qui, en trois ans de conflits a prouvé qu’il ne voulait pas faire la guerre, un motif plausible pour tout oublier dans l’ivresse de la voie royale pour la conquête du pouvoir, pour fraterniser avec l’ennemi de classe, pour préparer la voie avec son sang à un nouveau régime démocratique et à la victoire d’un impérialisme sur l’autre. Et, impuissante à convaincre seul l’ouvrier de combattre pour une cause qui n’est pas la sienne, la bourgeoisie mobilise son serviteur fidèle, l’opportunisme, pour que, époussetant les vieux outils de la rhétorique nationaliste, il batte le rappel du prolétariat sous les drapeaux usés de la « patrie », du « nouveau Risorgimento », des « frontières sacrées » et de la défense du « patrimoine industriel italien », ou, en d’autres mots, pour qu’il pousse le prolétariat dans l’engrenage de la guerre impérialiste.

Face à cette politique, notre position est claire. La lutte des partisans à coloration nationale anti-allemand est une arme dont la bourgeoisie se sert pour aveugler l’ouvrier, pour le détacher de son terrain spécifique de lutte, pour féconder avec son sang une seconde naissance du régime capitaliste agonisant. Entre les deux impérialismes qui se combattent dans notre pays, dont l’un nous promet une illusoire liberté et l’autre nous invite à venger notre honneur bafoué, nous ne voulons pas choisir. Nous ne voulons pas combattre contre l’impérialisme allemand pour que l’impérialisme anglo-saxon vainque, nous voulons combattre pour que les racines de tout impérialisme soient détruites une fois pour toute. Nous ne voulons pas combattre contre la guerre nazie pour légitimer la guerre démocratique sous quelque allure qu’elle se présente. Nous ne voulons pas que le prolétariat fasse couler son sang pour l’amour d’une « patrie » bourgeoise  ; nous voulons qu’il ne combatte que pour ses intérêts  : la conquête du pouvoir. Au mot d’ordre « nation contre nation », nous substituons le mot d’ordre « classe contre classe »  ; au mouvement des bandes de partisans anti-allemandes, nous substituons l’armement du prolétariat dans le but d’atteindre ses buts historiques.

Il est nécessaire, aujourd’hui plus que jamais, que les prolétaires voient clair. Le dilemme n’est pas entre combattre dans une armée démocratique ou fasciste, ou s’insérer dans une bande de partisans  ; car il s’agit toujours d’une seule et même guerre et lutte des classes. Nous refusons ces deux embrigadements et nous déclarons que la libération du prolétariat ne sera pas réalisée par ceux qui l’ont invité à combattre sous le drapeau de la démocratie, elle ne peut l’être que par le seul organisme qui a lancé au prolétariat du monde entier le vrai mot d’ordre révolutionnaire  : Prolétaires, désertez la guerre quelque soit l’uniforme sous laquelle elle se présente  !« . (Prometeo n°1)

On peut comprendre que les staliniens aient considérés ce groupe comme « agents du fascisme et de la Gestapo », au point de publier un faux Prometeo pour semer le trouble et qu’ils aient assassiné des militants comme Mario Acquaviva et Fausto Atti. Onorato Damen était sur la liste, il a été appelé par une autorité de l’Etat qui lui a dit de se mettre «  au vert  ».

Ce parti regroupait 2.000 à 3.000 militants à la fin de la guerre, mais était un parti très hétérogène.

Hollande

En Hollande 2 organisations se sont placées sur le terrain du refus des 2 camps impérialistes.

Le premier groupe est le    GIC (groupe de communistes internationaliste) (1927-1940). Son analyse de la guerre est tout à fait claire:

« C‘est le capitalisme mondial, comme système économique, qui est responsable de guerre, et non tel ou tel pays particulier« .

Les communistes de conseils refusent d’intégrer un front anti-guerre (composé de trotskystes, anarchistes, syndicalistes) pour des actions communes.

Jusqu’à l’invasion de la Hollande le 10 mai 1940, la propagande contre la guerre est le fait de groupes locaux conseillistes. Par exemple il y a un bulletin (lettres de soldats) diffusé dans des casernes qui « appelait les soldats à n’adhérer à aucun des 2 camps (ceux du capital privé, ceux du capitalisme d’Etat)  ».

Pendant l’occupation, les militants du Communisme de Conseil restent silencieux ils sont recherchés par les nazis (comme Jan Appel).

Le deuxième groupe est le RSAP (parti ouvrier socialiste-révolutionnaire avec comme figure principale Henk Sneevliet, groupe trotskyste de droite, parlementaire dans les années 30) qui se transforme avec l’occupation allemande en Marx-Lénine-Luxembourg Front,organisation clandestine.

Ce groupe se radicalise à travers une série d’événements.

Lors du pacte germano-soviétique, août 1939, « la défense de l’URSS est rayée du programme du RSAP ».

Lors de l’invasion allemande des Pays-Bas, le RSAP cesse d’exister et se met en place une organisation illégale : le MLL Front. Organisé en cellules de 5 membres, cloisonnées, dirigées par des hommes de confiance (avec des liaisons verticales et horizontales). Au sommet, il y a une centrale dirigeante de 9 membres.

Sa radicalisation s’exprime par le fait qu’il oppose aux 2 fronts, un troisième front, celui du prolétariat:

« Le MLL Front souhaite l’insurrection du prolétariat dans les pays en guerre et la fraternisation des soldats et ouvriers par la lutte contre les puissances impérialistes qui les ont entraînés dans cette guerre. Tel est le 3ème front. »

2 événements vont encore précipiter l’évolution politique du MLL Front.

La grève de février 1941. L’occupation nazie signifie une oppression encore plus grande liée à leur idéologie anti-sémite (mesures d’interdiction de promotion aux fonctionnaires juifs par exemple, interdiction d’aller au café, cinémas…) et aux besoins de la guerre (déportation d’ouvriers dans les usines du Reich et un embrigadement des chômeurs dans la construction des digues pour un salaire de misère). Il y a donc un mécontentement croissant des ouvriers (dès le mois d’octobre 1940) qui subissent une grande misère matérielle.

Au début de l’année 1941, se déroulent des manifs d’étudiants contre l’antisémitisme (31 janvier). Le même mois il y a de petites manifestations d’assistés du travail et de chômeurs contre la Bourse du travail et l’administration communale. A cela une agitation croissante chez les ouvriers qualifiés des chantiers navals (déjà 7.000 déportés fin 1940 pour y travailler dans les usines et de nouveau 3.000 déportés en janvier 1941).

Existence des pogroms dans le quartier juif d’Amsterdam : le 11 février, un groupe de nazis est attaqué par des ouvriers juifs et non-juifs, le lendemain le quartier est bouclé.

Le 17 février, 2.000 ouvriers font grève en solidarité avec leurs 128 camarades contraints de partir travailler en Allemagne : les autorités allemandes cèdent !

Le 25 février, la grève éclate dans les entreprises de la ville avec des manifs aux cris de « à bas les pogroms contre les juifs ! ». Le 26 c’est une grève de masse (La Haye, Rotterdam, …)

Répression terrible. Le mouvement de grève est brisé.

Le MLL Front joue un rôle dans la grève, bien que le nombre de ses militants est de 300.

Dès janvier 41, il sort un journal régulier de propagande : Spartacus tiré à 5.000 exemplaires en février. Il appelle les ouvriers à former des groupes de protection dans les quartiers ouvriers contre les actions antisémites.

Contre le nationalisme du PC hollandais (qui disait : luttez fièrement pour la libération de notre pays !), le MLL Front développe toute une propagande près des soldats allemands dans le but de fraternisation.

L’invasion de l’armée allemande en URSS le 22 juin 1941. Le MLL rejette la défense de l’URSS qu’il considère à partir du mois de juillet 1941 comme capitaliste d’Etat, non sans susciter quelques remous parmi les militants et certains s’opposèrent à une telle orientation:

« Le 3ème Front ne voit dans la nouvelle phase de guerre impérialiste aucun motif de changer sa position. Il ne prend pas parti pour l’un des deux fronts de guerre de l’impérialisme. Il reste indépendant dans la définition de sa conduite: se conformer à son propre but de classe et mener sa propre lutte ».

En février 1942 le MLL Front est décapité, la plupart de ses membres dirigeants sont arrêtés et exécutés le 12 février. De ce Front sortira 2 organisations :

– le CRM (comités de révolutionnaires marxistes), trotskyste qui défend l’URSS,

– une organisation conseilliste « Spartacus » .

Grèce.

Le groupe qui pendant la 2ème guerre s’opposa aux différents camps impérialistes y compris l’URSS, défendant des positions internationalistes contre tous les nationalismes s’appelle l’Union des Communistes Internationalistes (KDEE) dont les figures principales sont Agis Stinas, Voursoukis, Krokos, Makris. Le plus connu est Agis Stinas (qui a écrit des Mémoires), qui fut un des rares survivants de cette époque, les autres militants ayant été assassinés soit par les staliniens, soit par les forces d’occupation (allemande et italienne).

Là encore le tronc commun est le même que pour les autres groupes que nous avons passés en revue, ainsi que le parcours fait de rupture avec le stalinisme, puis au sein des groupes qualifiés de trotskystes (et d’archéiomarxiste pour la Grèce) car certains militants, comme Stinas remettent en cause la nature de la Russie (qualifié d’Etat ouvrier dégénéré) dès 1937 tout en rejetant le mot d’ordre de défense de l’URSS découlant de sa critique du nationalisme.

Il existe ainsi en Grèce 2 groupes trotskystes.

Lors du déclenchement de la 2ème guerre mondiale, tous ces militants sont en taule, à l’Acronauplie, ce qui a renforcé la coupure de tout contact international. Il y a des discussions importantes entre les 2 groupes trotskystes sur la nature de l’Etat russe. Le groupe de Stinas approfondissant ses positions internationalistes (jusqu’à qualifier l’URSS de capitalisme d’Etat), alors que l’autre groupe trotskyste (l’OCI) défendait, comme la plupart des groupes trotskystes de par le monde, une position de défense de l’URSS et même de participation à la Résistance patriotique en rejoignant l’EAM et l’ELAS (ils furent quand même assassinés par les staliniens par la suite…).

L’UCI se positionne clairement aussi sur la question du nationalisme :

« la défense de la nation et de la patrie n’est à notre époque rien d’autre que la défense de l’impérialisme, du système social qui provoque les guerres, qui ne peut vivre sans guerre et qui mène l’humanité au chaos et la barbarie ».

Dans le prolongement d’une telle critique, la Résistance antifasciste ne peut qu’être comprise que comme partie intégrante de la guerre impérialiste :

« Le « mouvement de résistance », c’est-à-dire la lutte contre les Allemands sous toutes ses formes, du sabotage à la guerre de partisans, dans les pays occupés, ne peut s’envisager hors du contexte de la guerre impérialiste, dont elle est partie intégrante. Son caractère progressiste ou réactionnaire ne peut être déterminé ni par la participation des masses, ni par ses objectifs antifascistes ni par l’oppression par l’impérialisme allemand, mais en fonction du caractère soit réactionnaire soit progressiste de la guerre. »

Plusieurs événements pour pousser à la clarification et aux positionnements des uns et des autres.

L’invasion de l’armée italienne en Grèce en octobre 1940. A ce moment, le KKE est pour la défense de la patrie, ses militants veulent aller au front. Bien entendu les groupes trotskystes mettent en avant les principes de l’internationalisme prolétarien et la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.

Puis l’armée italienne essuie des revers militaires et c’est l’armée grecque qui prend l’offensive, allant jusqu’en Albanie. L’armée allemande doit venir à la rescousse de l’armée italienne. Elle envahit la Grèce le 6 avril 1941 et l’occupe entièrement dès le 27 avril. Puis c’est l’invasion de l’armée allemande en URSS, ce qui libère le KKE (comme tous les autres PC qui ont défendu le pacte germano-soviétique) qui peut se lancer à fond dans la défense de la patrie. Il déclare en septembre 1941 :

« Tant que les occupants étrangers sont dans notre pays, toute lutte de classe est non seulement indéfendable mais aussi antinationale ».

Le KKE fonde l’EAM (le front de libération national) et l’ELAS (l’armée de libération nationale).

Encore à ce moment les différents groupes sont en taule. Lors de l’invasion de l’armée allemande en Grèce, il y a le projet d’évasion collective, le KKE s’y oppose fermement tout en faisant croire que le gouvernement leur permettrait de quitter la taule quand celui-ci quitterait Athènes. A force d’attendre, voilà que les parachutistes allemands s’emparent de la ville et cernent le camp. Stinas précise que si des dirigeants du KKE parvinrent plus tard à s’évader, la majeure partie des prisonniers furent fusillée par la suite. La situation dans les taules s’aggrave, c’est la famine, tout comme dans toute la Grèce. L’hiver 41-42 est terrible, des centaines de milliers de personnes meurent.

A la mi-octobre 1942, Stinas s’évade, ainsi que Voursoukis. Il rejoint Athènes et d’autres camarades de son groupe. Ils se mettent immédiatement à agir par différents moyens : tracts, feuillent volantes, écriture de slogans, les appels de chonia (sorte de porte-voix) la nuit.    Il y a des slogans comme ceux-ci :

« C’est le capitalisme dans son ensemble qui est responsable du carnage, des dévastations et du chaos, et pas seulement un des deux camps ! »

« Fraternisation des peuples et des soldats contre les bourreaux qui saignent les peuples ! »

« Fraternisation des ouvriers grecs et des soldats italiens et allemands dans la lute commune pour le socialisme ! »

« L’unité nationale n’est rien d’autre que la soumission des ouvriers à leurs exploiteurs ! »

« Seul le reversement du capitalisme sauvera la paix du monde… »

Puis quelques mois plus tard le groupe imprime son journal (Front ouvrier) en caractères typographiques. Le groupe prend de l’importance, des jeunes y adhèrent. Stinas fait remarquer que « le peuple s’était redressé » à la différence de l’hiver 41-42. Dès l’automne 1942, les grèves commencent dans les villes, comme la grève de 60.000 employés dans la région d’Athènes-Le Pirée. Début 1943 il y a une importante mobilisation pour refuser l’appel au volontariat pour recruter des ouvriers pour les usines en Allemagne, volontariat qui s’est transformé en mobilisation forcée. Les grèves et mobilisations massives qui s’en suivirent obligèrent les nazis à reculer. A l’automne il y a à nouveau des mouvements de grèves, ainsi que des pillages de magasins d’alimentation et d’habillement. Le groupe de Stinas participe activement à ces actions qu’il considère en rupture avec des actions menées dans une perspective nationaliste.

Pourtant ce qui se renforce après 1942, c’est la résistance patriotique, le renforcement de l’EAM et de l’ELAS, ce qui implique l’ultimatum classique : soit rejoindre les groupes de partisans, soit c’est l’extermination. Le KKE organise un service de renseignement, une sorte de Guépéou appelée OPLA.

« La solidarité, la confiance, les libres discussions des premiers jours avaient disparu ».

Le KKE a agit exactement de la même manière, sur le fond, que tous les autres PC. Par exemple assassinats non justifiés d’officiers allemands, entraînant des représailles terribles dans la population.

Excitation de la haine chauvine envers les armées « ennemies », de l’officier au simple soldat. En 1943, suite à la chute de Mussolini, l’armée italienne est en pleine débandade. En Grèce, une division entière passe à la résistance grecque. Pourtant la résistance désarme les soldats et les laissent crever dans des camps. Ainsi tout est fait pour empêcher la fraternisation des partisans avec les soldats allemands et italiens. Il y a exactement le même cas de figure avec la dite insurrection de Paris en août 1944.

Dans un cas comme dans une autre, l’objectif de la Résistance est de prendre le pouvoir après que les troupes d’occupation soient parties, car ce n’est pas les faits guerriers de la Résistance qui ont permis l’éviction de l’armée occupante, ce sont toujours en raison des combats militaires d’une autre ampleur. Dans le cas de la Grèce (comme en Yougoslavie) l’armée allemande faisait retraite pour renforcer l’effort de guerre à l’Est (l’armée allemande quitte la Grèce le 12 octobre 1944).

La situation devient de plus en plus difficile pour les militants internationalistes et pourtant ils continuent à exprimer leur positionnement courageusement.

Mexique/Espagne.

Munis/ Natalia Trotsky….

1 Le journal « France d’abord », journal du PCF, titre en octobre 1942 : « tous debout et chacun son boche ».

2Nous avons mis de côté les groupes ou individus se réclamant du drapeau de l’anarchie, qui au cours de cette guerre-là se sont positionnés sur un terrain internationaliste, comme ce fut le cas en Italie. Il faudrait y revenir.

3 Dans cet exposé nous avons fait le choix de faire l’impasse sur les groupes issus du bordiguisme, présents en Belgique et en France. Nous pouvons toujours en parler de vive voix. Sur le site archivesautonomies.org toute une rubrique leur est consacrée.

4 Nous revenons sur celle-ci dans l’introduction au texte « La position du Communiste Révolutionnaire, Libertaire et Internationaliste » de Décembre 1946-Janvier 1947, ainsi que sur d’autres textes majeurs des RKD.

5 Philippe Bourrinet vient d’en rédiger la biographie, ce qui est une première.

6 Au cours de nos recherches nous avons trouvé un petit journal « Combats ouvriers » édité en février 1945 par un groupe de FTP qui dénonce le PCF car celui-ci contribue à restaurer la « grandeur de la France » et son Etat. Le texte se termine par ces mots : « A bas les communo-chauvins traîtres à la classe ouvrière et agents du capitalisme ! Vive la révolution communiste internationale » et signé « un groupe de FTP ».

7En langue anglaise on peut lire la 9ème partie du texte de Philippe Bourrinet : the « bordigist » current » (http://www.left-dis.nl)