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Nous relayons une information édifiante qui vous a peut-être échappé, noyée dans le flux de l’actualité Covid : le Danemark va louer 300 places de prison au Kosovo, pour y interner des prisonniers condamnés au Danemark et faire de la place dans ses taules nationales.

Les autorités danoises, en fait, n’ont rien inventé. Il semble que c’est à l’État belge qu’on doit cette riche idée : l’administration pénitentiaire belge a loué, en 2010, 500 cellules dans une prison des Pays-Bas, pas trop loin de la frontière. C’est qu’il y avait de la place dans les taules néerlandaises, alors autant la rentabiliser, n’est-ce pas : la location a coûté 42 millions d’euros par an à la Belgique. L’arrangement se voulait provisoire, le temps que la Belgique construise de nouvelles prisons.

Mais les 650 prisonniers belges n’ont rempli qu’une seule prison des Pays-Bas – dans une ville qui s’appelle Tilbourg. Il restait des cellules vides dans les autres : en 2015, 242 prisonniers norvégiens ont été eux aussi transférés aux Pays-Bas, cette fois-ci au nord du pays, à Norgerhaven. Prix à payer pour la Norvège : 25,5 millions d’euros par an. Le débat est ouvert entre les gestionnaires : pour ou contre la délocalisation de la prison ? Et ceux qui sont pour comme ceux qui sont contre ne sont pas avares d’arguments humanistes. Pour, parce qu’on limite la surpopulation carcérale, regardez en France, c’est quand même pas jojo. Contre, parce que comment faire pour rendre visite aux prisonniers ? Le voyage coûte au moins 500 euros par personne. Mais ils pourront « communiquer avec leurs familles via Skype », assurait en 2015 la directrice de l’administration pénitentiaire norvégienne. Nous voilà rassurés. Et l’aide juridique, et la réinsertion, et pouvez-vous garantir les conditions de détention ? C’est qu’il faut une sacrée logistique pour maintenir l’illusion d’une prison à visage humain. L’illusion, au fait, n’a pas été maintenue, en tout cas pas plus que d’habitude : un rapport du médiateur de la justice norvégienne signalait en 2016 que les autorités « n’avaient pas réussi à garantir une protection adéquate contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants ». Sans blague.

Revenons à l’actualité récente. L’accord entre le Danemark et le Kosovo présente quelques nouveautés. D’abord la distance entre le pays où les prisonniers ont été condamnés et le lieu d’enfermement : 2000 kilomètres, un record. Ensuite le critère de tri entre les prisonniers « exportés » et les autres : ceux dont le Danemark se débarrasse, ce sont les prisonniers étrangers qui seront expulsés vers leur pays d’origine à la fin de leur peine, ce qui fait des détenus étrangers quelque chose comme des « prisonniers de seconde zone » ; l’état danois veut « envoyer un signal clair que les étrangers condamnés à l’expulsion doivent quitter le Danemark », apprend-on dans un article du Monde. Le signal est clair, en effet.

Il y a aussi une déclaration de la ministre kosovare de la justice qui ne manque pas de piquant : l’accord avec le Danemark serait « la reconnaissance du Kosovo et de ses institutions comme un pays sérieux ». C’est que le Kosovo est un tout jeune État, pas encore reconnu par l’ONU et l’Union européenne, pour diverses raisons historiques. En tout cas, madame la ministre pense que la respectabilité étatique internationale s’acquiert en faisant la démonstration d’une compétence de maton – et le pire, c’est qu’elle a probablement raison.

Il y a enfin l’arrangement financier. En plus des 210 millions d’euros sur dix ans que le Danemark va verser au Kosovo pour ses bons offices pénitentiaires, il y aura une autre « aide », de 6 millions d’euros par an. En bonus. Devinez pourquoi faire ? « Au titre de la transition écologique ». Oui, vous avez bien lu.

On savait déjà que la transition écologique pouvait servir à beaucoup de choses. Par exemple, à augmenter le prix de l’essence pour faire casquer les prolétaires obligés de prendre la voiture pour aller au boulot, sans que le petit patron qui fête ses bénéfices de l’année en s’achetant son deuxième SUV ne soit le moins du monde inquiété. Il s’avère qu’elle peut aussi servir à monnayer la sous-traitance carcérale entre États, voire à (tenter de) faire oublier des politiques nationalistes. Dans un monde qui se couvre de murs et de camps de migrants, l’externalisation carcérale, voire bientôt concentrationnaire, contre subventions écologiques, a sûrement un bel avenir devant elle.

Reste à tout faire pour détruire cette société – États, prisons, frontières et argent compris – avant d’en arriver là.