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Dans un des discours dont il nous gratifie régulièrement1Interview à Brut du 4 décembre 2020: les trois racines de la violence dans la société contemporaine sont les black blocs anarchistes, le terrorisme et les trafics., Macron pointait les anarchistes comme une des causes majeures de la violence dans la société d’aujourd’hui. Alors soyons clairs, au Seum nous serions ravis qu’une violence émancipatrice contre l’État et le Capital se répande dans la société. Hélas, nous ne pouvons que constater qu’elle est encore bien marginale. Si nous devons parler de violence à l’heure actuelle, c’est plutôt de celle des institutions.

Mais qu’à cela ne tienne ! Le 8 décembre 2020, une action coordonnée de la police anti-terroriste, en région parisienne, à Toulouse et en Dordogne, aboutit à l’arrestation et à la détention de sept personnes que la presse qualifie d’« ultra-gauche » (voir l’encart plus bas). Pour coller cette étiquette sur le profil des personnes interpellées, les journalistes se fondent sur quelques bribes d’informations que la flicaille leur a soufflées.

Certains journaleux aventuriers, lancés dans une quête de précision un peu confuse, qualifient les mis en examen tour à tour de « marxistes-léninistes », de « guévaristes » ou encore d’« anarchistes », sans donner à penser qu’ils maîtrisent le sens de ces termes.

Si les quelques informations distillées par les journalistes sont à l’image du dossier, il y a de quoi rester bouche-bée face à son néant. En effet, nos sept emprisonnés ne le sont sur la base d’aucun acte déjà accompli, mais seulement sur leur supposée volonté de « s’en prendre aux forces de l’ordre ». No shit, Sherlock ?! On est face à quoi là ? L’inspecteur Labavure est tombé sur une communication de potes bourrés qui parlent de « niquer les keufs » ? On a un scoop pour vous : nombreux sont les gens qui vous détestent !

Si le slogan qui dit que « tout le monde déteste la police » exagère peut-être un peu, il faut quand même rappeler qu’entre Gilets Jaunes réprimés, prolos des quartiers, n’importe quel pékin moyen ayant participé à une manif ces dernières années et jusqu’à Marcel qui voit sa journée de travail partir en fumée quand il mange un manche sur le chemin du retour, ça fait quand même un petit paquet de monde qui rêve que les poulets rôtissent.

Alors il faut bien broder pour justifier la détention des sept interpellés : l’un a combattu Daesh au Rojava dans des unités du YPG2Organisation sœur du Parti des Travailleurs du Kurdistan, aka PKK, en Syrie qui défend la cause kurde. Classé comme terroriste par plusieurs États dont la France, ses combattants, dont des révolutionnaires internationaux, forment la première ligne de combat face au califat., certains sont inscrits dans un club de paintball, un autre est artificier à Disneyland Paris sur le spectacle de la Reine des Neiges (et ce alors même que le type qui a commis la chanson Libérée, délivrée court toujours…). On criminalise des intentions supposées et un engagement révolutionnaire et international.

Le but de cette stratégie répressive est multiple. Dans un premier temps il faut adresser un message fort aux petits milieux révolutionnaires ou contestataires : tenez-vous tranquilles, car on vous a à l’œil – et même, comme le révèlent ces arrestations, on vous écoute, on vous filme, on vous fiche en permanence. Ensuite, il faut avertir les prolos dans leur ensemble : face à la crise économique en cours, exacerbée par le covid-19 et les confinements, la police sera en première ligne pour mater toute velléité de révolte.

Et l'ultra-gauche alors ?
Face à l’usage médiatico-policier qui est fait du terme ultra-gauche, nous vous proposons ici quelques éclaircissements bien utiles pour les non-initiés qui aimeraient tout de même savoir de quoi cette affaire retourne. Car avant de chercher à faire trembler dans les chaumières (si  les extrêmes-gauches ont des couteaux entre les dents alors à coup sûr  les ultra-gauches crachent du feu et transpirent de la nitro), le terme  décrivait un courant politique bien réel. Pour résumer, l’ultra-gauche regroupe les opposants « de gauche » aux thèses défendues par Lénine au  sein de la IIIème Internationale. Ses animateurs comme Rosa Luxemburg, Anton Pannekoek, Otto Rühle ou encore Amadeo Bordiga, y développeront tout un arsenal théorique marqué par la volonté de refuser les  compromissions électorales, la realpolitik et les alliances d’appareil, afin de rester fidèle à une perspective révolutionnaire intégrale. Certains (le courant dit germano-hollandais) critiqueront l’avant-garde, l’État, le Parti, le syndicalisme auquel ils opposeront l’auto-organisation et les conseils ouvriers. On est ici dans un encart, notre concision fera écho à votre curiosité. L’âge d’or du courant sera dans les années 1920 avec diverses organisations mais l’élaboration théorique des groupes infusera dans les milieux révolutionnaires et on peut en retrouver une influence certaine dans les luttes post-68.

Quelques bouquins pour aller plus loin :
La Révolution n’est pas une Affaire de Parti d’Otto Rühle, 
Les Conseils Ouvriers d’Anton Pannekoek, 
Histoire critique de l’Ultra-Gauche de Roland Simon, 
Voyage en Outre-Gauche de Lola Miesseroff.

Post-scriptum : Christophe Bourseiller, une vieille gloire médiatique, squatte ces derniers temps les plateaux télés pour vendre sa soupe, une suite de son Histoire de l’ultra-gauche... tout en appelant à réprimer plus durement un courant dont il fait une caricature grossière. Tant qu’à faire, lisez plutôt Wikipédia, c’est gratos !