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Les capitalistes de tous pays ont une névrose commune : la chasse aux temps morts de leurs salariés. Ne doutant pas de notre flemme ou de notre haine du travail, ils s’organisent donc depuis pour tenter de réduire à néant ce laps de temps où nous cessons d’être productif. Minuterie, chaîne de montage, gestion des stocks, traçage des produits, pointage, informatique… autant d’armes de la machine capitaliste pour optimiser notre exploitation !
Mais les rêves capitalistes se heurtent parfois au réel et la crise Covid est venue le rappeler. C’est que la brutale baisse de production qui s’est opérée n’est pas une situation tenable pour un mode de production reposant sur un accroissement permanent. Partout États et entreprises ont donc accéléré un processus (déjà en cours, il est vrai) visant à faire de ce monde une connexion permanente.
Logiquement, le premier confinement a donc entraîné la massification du télétravail, et toutes les contraintes qui vont avec. Le déploiement de la 5G n’a rien d’un complot, il s’agit ouvertement, dans la logique du télé-travail, d’augmenter la fluidification et l’automation du proçès de travail en général.

L’exploitation à domicile
La situation a obligé certains d’entre nous à devoir travailler chez soi, c’est à dire dans nos espaces de vie qui peu à peu ne se dissocient plus du cadre de travail. Il y a 8 ans, une étude pointait déjà comment le télé-travail coïncidait avec une hausse générale de la productivité et du temps de travail1« Le télétravail dans les grandes entreprises françaises. Comment la distance transforme nos modes de travail », synthèse remise au ministère de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique en 2012., résultats confirmés par toutes les études sur la période Covid, bien que la massification du phénomène fasse que toutes les entreprises ne sont pas au même niveau. Avec des technologies de plus en plus nombreuses et performantes, on se retrouve à être finalement disponibles H24, malgré nous. Disponibles et également surveillés : ces outils informatiques sont de bien meilleurs mouchards que le cadre ou le contremaître, qui malgré tout, ne possèdent pas tout à fait un œil de Sauron. On peut d’ailleurs noter que nombre de petits-chefs sont en train d’être licenciés…
Chasse aux temps morts donc, le télé-travail est aussi une attaque directe contre notre capacité d’organisation collective. En travaillant de chez soi, impossible de discuter avec ses collègues de ses conditions de travail, de cracher sur son patron ou de s’organiser… Tout est fait d’ailleurs pour que les espaces de discussion numériques regroupent exploiteurs et exploités au nom de la grande famille que constitue l’entreprise. Dans certains cas, on se retrouve à bosser avec des gens dont on ne connaît même pas le nom et qu’on a jamais vu en vrai.
Longue est la liste des nouveaux logiciels de télé-surveillance : Microsoft 365, qui calcule notre score de productivité2https://www.marianne.net/societe/big-brother/microsoft-365-le-score-de-productivite-qui-veut-surveiller-vos-performances-au-travail, ou encore Headroom, qui mesure l’attention que nous portons à une réunion via des paramètres tels que la dilatation de nos pupille ou la température de notre pièce. Le moindre de nos geste est donc enregistré et analysé3 https://korii.slate.fr/tech/comment-logiciels-reunions-virtuelles-fliquent-intelligence-artificielle-surveillance. On se retrouve à s’auto-fliquer, par peur de la répression qui pourrait suivre. La mise en place de ces logiciels-espion est belle et bien pérenne : même si le télétravail s’arrête après le confinement pour certains, le logiciel lui reste, ainsi que ses possibilités. Les commandes de ce type d’outils ont quintuplé depuis le début de la pandémie : on parle bien de quelque chose qui est en voie de se généraliser.
On ne développera pas ici les nouvelles contraintes de ceux qui continuent à taffer sur place : distanciation physique, fermeture de lieux clos trop étroits pour recevoir les salariés – on pense ici particulièrement aux lieux de sociabilités comme les salles de pause ou de réunion, qui servent notamment à l’organisation des travailleurs – tout ceci entraîne une atomisation grandissante alors même qu’on continue à venir taffer, et donc à s’exposer au virus4Voir ce témoignage intéressant : http://www.classeenlutte.org/2020/04/08/ce-que-lavenir-vous-promet-la-poste-vous-lapporte-entretien-avec-sylvie-factrice-dans-la-region-toulousaine/. L’intensification du travail n’était certes pas nouvelle, mais ce sont encore bel et bien des outils et normes qui pointent en ce sens.

Télé-travail et mise en concurrence
Derrière le vernis écologique du télé-travail, il y a en premier lieu l’économie importante de locaux que cela offre aux entreprises. Mais ce développement technologique donne également la possibilité d’une mise en concurrence mondiale accrue entre les prolétaires. L’enjeu se devine aisément, celui d’une délocalisation à bas coût ! Il suffit de penser aux nombreux centres d’appels qui existent déjà, pour le service client par exemple, et dont la personne au bout du fil se trouve en réalité dans un autre pays. Baisser le coup de la main d’œuvre sans avoir à délocaliser les locaux : un rêve de gestionnaire en entreprise désormais accessible à de nombreux patrons.
Ces nouvelles possibilités risquent de transformer beaucoup de secteurs. Pensons à la santé par exemple. Le confinement a permis la généralisation des consultations en visio avec les médecins traitants. On imagine alors aisément le futur d’une santé délocalisée en visio à l’étranger afin de baisser les coûts. En France, la plateforme Health data hub a été lancée il y a environ un an, elle regroupera des quantités astronomiques de données de santé individuelles, et est sensée permettre le développement et le deep learning d’intelligences artificielles. Ces données pourraient ensuite être utilisées de différentes manières, comme en Corée où des bracelets connectés sont devenus obligatoires dans le cadre de certaines pathologies…

Fin du monde ?
Certes quand on dresse l’évolution en cours, le tableau est toujours un peu sombre. Quand le capitalisme se réorganise, c’est toujours dans l’idée de nous exploiter davantage, de répondre à nos luttes. Aussi la tentation est grande de penser que « la fin de l’histoire » qu’ils nous ont proclamée voilà 30 ans est réelle, que nos possibilités de mettre à bas ce système sont réduites à néant face aux possibilités toujours plus grandes de contrôle, de répression et de destruction qu’ils possèdent.
Drones, 5G, reconnaissance faciale, polices privées, caméras partout, télé-travail… Cet arsenal vise aussi à nous faire peur. Pourtant, l’histoire nous le montre, notre imagination collective finit toujours par s’affronter aux nouvelles logiques de contrôle, à l’usine ou dans la rue.
En Chine, des élèves se sont organisés en votant en masse contre l’application DingTalk (l’école en télétravail) sur le Playstore, et ont réussi à la faire disparaître de la plateforme… À Hong-Kong des manifestants ont développé des masques qui brouillent la reconnaissance faciale. Des exemples qui font sourire mais qui nous rappellent surtout que notre force repose sur le collectif, l’imagination, et notre place dans une société qui ne peut tourner sans nous.
Face au télétravail et tout le reste, il est primordial de recréer du partage d’information. Dans nos boîtes créons des groupes de discussion sans les chefs et les patrons, retrouvons nous dehors. Et propageons nos débrouilles et résistances. Si on a des exemples de combines, de luttes face aux nouvelles formes de travail, partageons-les. Ou écrivez-nous, on se fera un plaisir de partager ça !